Il est une évidence, la beauté nous entoure. Beauté des paysages, des bâtiments, des arbres, des fleurs, des personnes tant sur le plan physique que psychique, ... partout elle nous attire et nous donne l'envie de la saisir, la contempler, la partager, d'en garder trace. Partager cet élan si intense qu'elle suscite en nous, avec une sorte d'éblouissement, de sidération, de sensation d'éternité, de quelque chose qui nous dépasse quelles que soient nos convictions. L'espace d'un instant, elle nous happe, on rêve d'un monde figé dans ce moment singulier … Ah si rien ne pouvait l'altérer… mais hélas, tout est fugace, nous ne faisons que passer, pressés par le temps ou déjà soleil et nuages nous jouent de vilains tours et d'un coup le paysage ou le visage si merveilleux redevient banal voire inintéressant à nos yeux si avides d'extraordinaire. Que l’on soit face à la beauté universelle, reconnue par tous ou à une vue agréable, dont la sensation plus personnelle dépend de notre humeur, éducation et culture, il est indéniable que nous avons l'envie de conserver le souvenir de l'événement et si possible de le partager avec d'autres. Auparavant par la tradition orale puis par la peinture et l'écriture. Sont venues s'ajouter la photographie et la cinématographie. Et maintenant les réseaux sociaux par lesquels la transmission se propage à toute vitesse et touche des publics dont les intérêts sont à la fois singuliers, multiples et extrêmement diversifiés. Internet et les réseaux sociaux sont à la fois un accélérateur de diffusion d’une puissance extraordinaire et un outil instantané d’accès à toutes les informations, recherches et connaissances. Revers de la médaille, l’information véhiculée par ce média devient trop souvent redondante, surabondante, superficielle quand elle n’est pas manipulée, détournée voire carrément mensongère. De plus, elle nous donne une perception biaisée du monde à travers les images et les représentations, perception d’un monde virtuel où tous nos sens sont soit restreints au cadre imposé soit totalement mis sous cloche.

Paradoxalement, cette nature que nous ressentons si belle et si attirante est malade, plus ou moins gravement selon les régions du globe et cela, notre regard l'occulte le plus souvent. Elle se pare encore de beaux atours qui accrochent notre œil et nous leurrent, nous laissant incapables de voir l'altération profonde de son fonctionnement interne. Nous pouvons ainsi nous extasier devant une balsamine de l'Himalaya, la perfection de ses formes et la magnificence de ses couleurs sans réaliser que c'est une plante exotique envahissante. Comment deviner que notre impatience indigène ou impatiens noli tangere a peu de chances de survivre par rapport à cette colonisatrice si nous ne cherchons pas une information, de la connaissance à son sujet ? La biodiversité existe, sans état d'âme, sans émoi. Elle est le vivant, quelle qu'en soit la forme. Elle est extrêmement complexe dans ses interactions et fonctionnement. Nous en sommes parties inhérente et elle est le support de toutes nos activités biologiques, socioculturelles, économiques, spirituelles. La voyons-nous seulement alors qu’elle s'effondre sous l'effet de nos actions et de notre exploitation effrénée et irréfléchie ? Comment susciter un élan qui nous mette en mouvement, qui nous ébranle ou lui trouver un sens, une fin en soi capable de nous émouvoir et de nous motiver au changement de paradigme sociétal ?

Montrer ou dire ne suffisent pas. Seule une vraie lecture des images avec l’éclairage de toutes les connaissances acquises peut nous amener à saisir l’enjeu de ce qui est montré. Prendre le temps, analyser, comprendre alors qu’une image à peine regardée est déjà chassée par une autre, c’est là une des grandes difficultés. Si l’on accepte de s’arrêter un instant, ne pourrait-on pas même se hasarder à faire un lien entre biodiversité et graphisme ? Biodiversité et graphisme, deux mots de prime abord inconciliables mais le sont-ils vraiment ?

Rappelons d'abord les définitions de ces 2 mots :

- la biodiversité est la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. ( Définition de la Convention pour la Biodiversité de Rio 1992 ) 

- le graphisme est une discipline qui consiste à créer, choisir et utiliser des élément graphiques (dessins, caractères typographiques, photos, couleurs, etc.) pour élaborer un objet de communication et/ou de culture. C'est une manière de représenter. Chacun des éléments est symbolique et signifiant dans la conception du projet, selon les axes définis éventuellement avec d'autres intervenants du domaine de la communication, dans le but de promouvoir, d'informer ou d'instruire (Wikipédia : …. ).

La biodiversité est donc la variabilité du vivant, tant en ses éléments qui la constituent qu'en ses systèmes de fonctionnement et ses relations complexes d'interdépendance. Rien à voir apparemment avec la contemplation d'un paysage constitué de différents éléments naturels ou résultant d'activités humaines, façonné par le temps qu'il soit géologique, climatique, politique. Le paysage nous séduit par l'agencement harmonieux de ses formes, ses lignes, ses couleurs, ses textures. Et cependant, ce paysage témoigne de la biodiversité qui y règne. Plus le paysage est uniforme, minimaliste au sens pictural, moins la biodiversité est grande. Les immenses champs de monocultures céréalières et les plantations de la sylviculture, aux limites tirées au couteau, sont un exemple répandu de l'appauvrissement voulu des espèces végétales. Cela vaut également pour les tracés rectifiés des cours d'eau, des routes et chemins. Paysages banalisés, d’un graphisme simplifié, au même titre que la biodiversité qui l'habite. Au contraire, les murets de pierres, les haies, les chemins creux guident le regard qui se promène dans le paysage, structurent l’image et plaident eux pour une biodiversité accrue : insectes, oiseaux, petits mammifères, plantes entre autres.

Les champs jaunes de colza, les champs bleus de lin, les champs dorés d'escourgeon enchantent nos yeux. Pourtant, l’agriculture intensive ne laisse place à aucune espèce autre que celle qui est plantée.  Visuellement, ces champs ne sont-ils pas encore sublimés par la présence de coquelicots ou autres plantes messicoles ? Le célèbre tableau de Monet « Les coquelicots » ne pourrait plus être peint au XXIème siècle si ce n’est dans certaines prairies fleuries protégées et souvent ensemencées. Et n'est-ce pas aussi leur alternance, les contrastes de couleurs qui nous ravissent ? Notre œil a gardé son caractère enfantin. Dès qu'il a vu quelque chose un peu trop souvent ou trop longtemps, il s'ennuie et ne regarde plus. Il lui faut toujours du nouveau. On peut aussi se demander si l’homogénéisation, conséquence de la monoculture, de la lutte intensive contre les adventices, les insectes et autres « nuisibles » n’a pas participé à la transformation de notre regard pour qu’il apprécie de plus en plus les lignes épurées, les représentations minimalistes. Néanmoins, les lignes de force restent essentielles pour attirer et guider l'œil, pour regarder et lire un paysage ou sa représentation. Ainsi, les bocages restent graphiquement et biologiquement beaucoup plus riches et intéressants de même que les méandres d'un ruisseau ou d'une rivière, les sinuosités des chemins et sentiers.

De même, au niveau du couvert forestier, les éclaircies larges et les coupes à blanc favorisent la prolifération des ronces au détriment des plantes caractéristiques du sous-bois telles le muguet, l'aspérule, la jacinthe, la jonquille, la pervenche et autres nombreuses espèces. Et là également, ce sont la couleur et les formes qui disparaissent au profit d'une uniformisation et aux dépens de la biodiversité.

En conclusion, la photographie pourrait aider à une meilleure compréhension de la biodiversité à condition qu’il y ait une véritable lecture de l’image. Biodiversité et graphisme ne sont pas des notions incompatibles, des lieux riches graphiquement sont souvent riches en biodiversité. Une piste à exploiter lorsque nous photographions !Les représentations de l'arbre sont souvent imposées dès l'école maternelle et les premiers dessins : un tronc brun, une couronne verte, des fruits rouges, pommes ou cerises… Or, tout cela est bien éloigné de la réalité.

 

 

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