LA PHOTO À LIRE, QUI FAIT SENS.

 

Dès qu’une personne regarde la photo, un dialogue s’installe entre la photo et le spectateur. Une photo énonce un discours, raconte une histoire au spectateur qui interagit avec elle. Il peut avoir en réponse une rapide lecture détachée ou être happé, saisi par la photo avec une mobilisation sensorielle et émotive. Roland Barthes, dans « La chambre claire Note sur la photographie » va plus loin et parle de studium et punctum :

« C’est le studium, qui ne veut pas dire du moins tout de suite l’étude mais l’application à une chose, le goût pour quelqu’un, une sorte d’investissement général, empressé, certes, mais sans acuité particulière…… car c’est culturellement que je participe aux figures, aux mines, aux décors, aux actions.

Le second élément vient casser (ou scander) le studium. Cette fois, ce n’est pas moi qui vais le chercher (comme j’investis de ma conscience souveraine le champ du studium), c’est lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer… Ce second élément…, je l’appellerai donc punctum ; car punctum, c’est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure – et aussi coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne). »

Lorsque je like une photo sur Facebook, je suis dans le registre du studium. La photographie me plaît dans ce qu’elle représente, m’informe, signifie, parle mais elle ne me donne pas d’émotion, ni jubilation, ni joie, ni douleur, ni tristesse. Par contre, lorsqu’un détail m’émeut, me fait sourire ou pleurer, évoque et remue quelque chose en moi, c’est le punctum.

Les photographies outre leur pouvoir documentaire ont la capacité de réveiller les images que chacun porte en soi ; chacun se forge sa propre réalité en fonction de ces images créées à partir de l’expérience personnelle, de son propre vécu mais aussi véhiculées par l’inconscient collectif. C’est Carl Gustav Jung, psychiatre au cours des années 20, qui a créé le terme « inconscient collectif ». Pour Jung, deux "territoires" coexistent dans notre inconscient : le personnel et le collectif. L’inconscient personnel est le produit des expériences propres à chacun de nous. L’inconscient collectif est issu de toutes les expériences humaines depuis l’aube des temps. Il est donc bien plus que la somme des inconscients personnels : on peut l’assimiler à la mémoire psychique de l’humanité depuis la naissance de celle-ci.

Ce pouvoir de stimulation de l’image photographique permet donc de prendre conscience de ses propres représentations et d’élargir son champ de connaissances, d’adopter une position plus critique, de développer l’imaginaire.

Le rôle de l’éducation, de l’inconscient collectif influe en effet notre manière de regarder. Ainsi, par exemple, lorsque nous étions sur les bancs de l’école, déjà en maternelle, nous avons appris à dessiner des arbres avec un tronc brun et des feuilles vertes. Et cette représentation s’est gravée dans notre cerveau et c’est celle-là qui, pour la plupart, surgit en mode automatique lorsqu’on entend le mot « arbre ». Il suffit de se promener en forêt pour s’apercevoir que les troncs sont de couleurs très diverses, parfois très éloignées du brun de l’école ! Même chose pour les feuilles…

Chaque société sécrète ses propres codes (par ex., on ne se salue pas de la même manière dans toutes les parties du globe), des manières d’être, des relations au monde qui se transmettent inconsciemment de génération en génération. Ces modèles concernent également le rapport à la nature. Les devins, chamans, prêtres, sorciers de nos ancêtres ont cédé la place aux publicitaires : omniprésents, ils véhiculent des images et des messages qui ne sont pas sans modifier à notre insu notre vision du monde !

 

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